Un parano génial… ou un génial parano…

Errol Morris s’est établi tranquillement comme étant un des documentaristes Américain les plus talentueux, créant des films avec un impact direct et viscéral sur le spectateur. Son œuvre se base principalement sur des faits actuels et véridiques (à l’exception d’un projet sur l’oeuvre de Stephen Hawkins, A Brief History of Time). Morris se démarque comme étant un réalisateur hors normes, proposant des oeuvres très personnelles et majestueusement construites et maîtrisées. À ce point génial que Herzog en vient même à manger son soulier, coiffé de crème à glace avec coulis à l’érable et bananes s’il-vous-plait!

En lient direct avec Morris, le documentaire de Kevin Macdonald, portant sur ce personnage bien excentrique, explore l’homme et son oeuvre de manière à fondre subtilement l’un dans l’autre - comme un virtuose manipulant avec aise et connaissances, bien au-delà de l’apprentissage, tous les outils servant à agencer le monde qu’il tente d’explorer.

Évidemment, avec une oeuvre telle celle de Morris, nous ne pouvons nous attendre à un portrait donnant dans les généralités pathétiques concernant notre monde de tous les jours. Macdonald le comprend bien et met en scène ses propres tours pour bâtir l’univers du film en symbiose avec son sujet. Ce qui nous donne en quelque sorte un tableau visuel et sonore de l’aura, de la spiritualité, de l’âme de Morris et de son oeuvre.

Morris étant celui qui aime s’exiler un peu partout, entrant ainsi en contact direct avec les environnements de ses sujets, MacDonald l’imitera - nous montrant le réalisateur dans différents endroits, sans utiliser de films d’archives. Bien sûr, quelques photographies sont utilisées dans le film, relatant en vitesse le bagage personnel de Morris (un truc concentré au début du film). En fait, c’est Macdonald et son équipe qui filment Morris en divers endroits. De ne faire qu’une entrevue en un seul endroit (bien qu’il y ait bien une entrevue maîtresse, prenant place dans un studio), n’aurait eu qu’une facture tout à fait conventionnelle d’actualité, et non ce ton personnel auquel parvient Macdonald. Sur ces déplacements et ces plans sans interaction verbale nécessaire avec Morris, le réalisateur construit la forme de son film avec le même fonctionnement que le faisait ce documentariste - exposant ainsi son attachement au sujet et sa volonté de croître avec sa "matière".

De la même façon, il aborde la thématique de la mort autant dans les films de Morris que dans sa vie personnelle, ce qui nous donne un portrait plutôt inquiétant de l’homme en question. Voir parler Morris des décès dans sa famille (son père étant décédé lorsqu’il avait deux ans seulement) puis enchaîner sur Ed Gein (pratiquement comme si c’était un copain, parlant de l’homme avec les yeux humides), avec quelques plans de ses propres films intercalés dans son discours, crée un moment particulièrement intense dans lequel non seulement l’on questionne Morris (qui est ce foutu personnage malsain et brillant ?) et son oeuvre - et du même coup Macdonald et le film que nous regardons (vers qu’elle direction s’achemine-t-il?). La force avec laquelle certains moments sont construits est magnifique.

Lors des moments que nous venons de décrire, nous avons quelques plans sur Morris avec effets stylistiques résultant en images quasiment fantomatiques. Le tout est flou. Il est intéressant aussi de remarquer que les coupes sont bien dissimulées, rien n’étant agressif, de très rapides fondus enchaînés, presque imperceptibles, mais tout de même présents, donnent un rythme approprié à l’ensemble. S’en dégage une atmosphère paisible et intègre, un monde dans lequel on sent que l’homme de génie derrière ces documentaires se tient complet et fidèle à lui-même. Un monde presque féerique et fantastique pour ce dernier. Mais la toute fin du film nous donne un portrait bien différent de Morris, un portrait que seul Macdonald, par ses techniques, réussit à peindre merveilleusement. Nous voyons donc Morris discutant quelque peu de son dernier film (Mr.Death, the Rise and Fall of Fred Aleuchter Jr.) et de Fred Aleuchter Jr., prétendant que le petit bonhomme semi-chauve, dans ses réflexions funèbres et dans sa profession (designer de méthodes d’exécutions multiples) est un homme qu’il ne faut pas croire. Que sa vanité le pousse à se prendre pour un autre et que sa relation avec la mort n’est que mensonge (ici concernant principalement ses écrits controversés sur l’impossibilité d’exécutions par gaz dans les camps de concentration nazis – bref, que ces derniers systèmes n’ont jamais existé, que tout est oeuvre de faux). Quelque chose cloche, Morris semble perturbé par la présence de cet homme et de son ambition mortuaire. Il dit : " He thinks he is the only one with a close relation with death. " Or, au début du film, Morris parle de la mort comme de son thème privilégié, de sa fascination. Bref, on ressent un malaise de la part de Morris, une quasi confrontation à Aleuchter quant à savoir qui des deux est le plus proche de la mort. On voit clairement que Macdonald savait depuis le début ce qu’il faisait.

Par association/dissociation (finalement menée par Morris lui-même), la fusion entre le sujet et son œuvre est parfaitement réussie.