La BBC nous offre un grand lot de documentaires de qualité, portant sur des sujets contemporains, intéressants et qui contiennent matière à développement. Avec The Enemy Within, on nous livre encore une fois une œuvre substantielle - le sujet comme la réalisation de Simon Chu sont ici dignes d’intérêt.

The Enemy Within est un regard viscéral et artistique sur l’art
contemporain qu’abrite la Tate Modern, un des plus grands musées d’art du 20ième siècle. Dans ce musée, on retrouve ces oeuvres qui ont choqué : l’urinoir Fontaine de Duchamp, la pile de briques de Carl André, l’art actuel des frères Chapman (Jake Chapman lui-même mènera le film à une réflexion sur ces oeuvres qui ont changé l’art du dernier siècle).

Le film est d’abord très bien documenté, on ne s’y contente pas d’une visite guidée du musée, ni de commentaires plats sur les oeuvres. Une documentation diverse ne touchant qu’à des points, des oeuvres et des artistes intéressants et qui, comme le titre l’annonce, se compose comme un virus attaquant le système central et se propageant à travers le corps. Le réalisateur s’amuse à intégrer des plans microscopiques de bactéries se
multipliant (à quelques reprises, le film se permet une tournure médicale et inquiétante quant à la propagation des virus). La narration lance différentes anecdotes passées et contemporaines, portant réflexion sur quelques concepts de cet art virus. Bref, l’utilisation de la voix off est maîtrisée, amenant le
spectateur à poser des questions et évaluer avec le film la composition et l’impact de cet art.

Afin de supporter sa documentation, Simon Chu nous propose une réalisation très bien menée, avec quelques fabuleux moments. Contrairement aux autres personnes interviewées, soulignant sa condition d’artiste, Jake Chapman nous est présenté de manière totalement expressive. Dans un environnement sombre, on a l’impression que sa tête flotte, qu’elle est la seule et unique partie de son corps (mis à part ses mains, avec lesquelles il travaille) à être présente. Les éclairages sont ici complètement fous, donnant d’un peu partout.

Cadrage et montage sont aussi utilisés pour la création d’atmosphère. Chu nous présente ce monde merveilleux infesté d’un virus. Nous avons droit à quelques plans tout à fait poétiques - par exemple celui sur le bord de l’eau, filmé lors d’un temps nuageux et affichant, en plein centre de cette vitalité naturelle, une petite usine et son énorme cheminée noire filmée en contre-plongée, trônant maladivement sur son environnement. La thématique principale du film nous est ici présentée en une simple composition.

Chu utilise fréquemment son montage en relations graphiques. Ainsi, il associe l’œuvre Little Death Machine de Chapman (qui comporte un phallus de plastique) à la cheminée-virus par enchaînement et association graphique. À un autre moment, les fondus enchaînés nous amènent à nous demander si la tarentule qu’il nous montre d’abord, inoffensive, grimpant sur un mur, n’est pas en fait sur la cheminée ou encore prête à attaquer la directrice du musée ! Humour, oui, mais d’abord symbolisme et réflexion parallèle au sujet (on ne se contente pas de montrer).

Les images en noir et blanc des caméras de surveillance, montrant les salles vides du musée, confèrent à ce dernier une atmosphère malade - lieu mis en quarantaine. Les caméras de surveillance nous étant introduites dès le début du film (on les voit à l’image), Chu nous rappelle, de la même façon qu’en ce qui concerne les plans de bactéries, qu’il ne faut pas oublier que ce que l’on voit (parlant de l’art) possède une origine matérielle. Il y a désacralisation de l’œuvre, au niveau de la forme même.

La trame sonore et le bruitage sont aussi bien utilisés. Sur ces
images de cheminée, ces caisses de bois à l’infini dans lesquelles sont enfermées les oeuvres, ces virus, ces bactéries et l’homme perdu dans cet environnement, Chu colle une trame sonore fantomatique, lourde, pesante, maladive avec des semblants de battements de cœur (que l’on peut entendre comme le glas que l’on sonne, annonçant mort et événement tragique). Ailleurs, la musique sera plus légère et rigolote : par exemple on a droit à des extraits d’Aphex Twins sur les oeuvres des Chapman.

Malheureusement, la forme est moins travaillée durant la dernière partie du film, dans laquelle on s’appuie davantage sur un contenu dépouillé.

Le film demeure bien maîtrisé, aucunement prétentieux et démontre le talent de Simon Chu. Ses prochains projets sont à surveiller.