Au cours du week-end dernier, entre un shift au Blockbuster et une partie de football (eh oui, Sipat embauche maintenant des putes commerciales), j’ai emmené mon cousin Tony voir Pearl Harbour. Désormais, Tony connaît tout de ce jour d’infamie, il a vu le film pis toute.

Pour tous ceux qui n’ont pas eu l’incommensurable joie de constater la justice et la vérité incarnées à l’écran, je vais vous faire un résumé qui vous permettra de saisir toutes les subtilités de la chose. [Voix off] : Coupez, on la garde.

Tout d’abord, il faut comprendre que Pearl Harbour est le rejeton direct d’Armaggedon et de Titanic (Armaggedon étant le papa car Bruce Willis possède plus de testostérone que le cast entier de Titanic, incluant James Cameron). Ces trois chefs-d’oeuvre cinématographiques s’étirent interminablement au-delà de 2h40, traitent d’une catastrophe mondiale (dans la tête des américains) et d’une idylle amoureuse dont personne n’a rien à foutre. Pour tolérer le tout (catastrophe = profond sérieux), on garnit de belles gueules de baiseurs.

C’est, en théorie, à ce point-ci de mon texte que je devrais faire un résumé du récit, donner ma note (3 étoiles et demi) et récolter mon cachet au Voir. Cependant, mon sujet amené avec mon cousin du Nevada me servira plutôt d’introduction pour traiter de la façon dont on nous présente l’histoire dans le cinéma.

Tout d’abord, le plus gros problème de Tony est sans doute son inconscience du rapport objectivité/subjectivité. De mes trois ans au baccalauréat en histoire, il y a un truc que j’ai appris et c’est que l’objectivité absolue n’existe pas (après ça, j’ai arrêté d’écouter). Cette prise en considération de l’impossibilité de l’objectivité peut sembler anodine mais remet en cause la réception du film au sens large (ici, je ne parle pas nécessairement de Pearl Harbour, parce qu’à part ouvrir la bouche et regarder l’écran, il n’y a pas beaucoup d’efforts demandés). Effectivement, Tony a compris que Ben Affleck ne s’était pas farci sa poulette pour vrai et que lui comme elle étaient des personnages fictifs. Cependant, il croit que les Japonais sont des criss de crosseurs [1], qu’ils ont attaqué sans raison apparente [2], et qu’ils ont préparé l’une des plus grandes attaques surprises de l’histoire militaire en kimono. Remarquez, le discours du film est mitigé : on veut mettre en valeur ce jour d’infamie, question de mousser le patriotisme américain, mais d’un autre côté, on ne veut pas froisser le Japon actuel, étant donné l’importance de son marché de consommateurs [3].

Roosevelt n’a en aucun cas voulu s’engager dans la seconde guerre mondiale pour les bienfaits économiques potentiels pour les Etats-Unis, mais uniquement afin que le colosse du Nord puisse jouer son rôle de justicier planétaire plus librement. Surtout, ce n’est surtout pas parce que les américains se seraient laissés bombarder volontairement [4] que l’attaque de Pearl Harbour fut un succès si retentissant pour les Japonais, mais plutôt parce le Japon est une nation croche et que les states, frappés par la malchance, n’étaient pas préparés à cette attaque.

Ce qui échappe à Tony c'est que toute oeuvre porte un discours, aussi subtil peut-il être. Discours secret de ce texte : Spike est le nom par excellence pour un animal de compagnie (VO de Artifice for World Domination).

Il est certain que je passe pour pointilleux, voulant éclaircir certains détails (secondaires pourrait-on dire, y en a eu des bombes ou pas ?) de Pearl Harbour. En fait non, je me sers de cet exemple pour souligner l’aisance avec laquelle Hollywood récupère l’histoire afin de véhiculer pour les states l’image de super pays pis toute. De toute façon, ceux qui me connaissent savent très bien que je préfère parler de ma quatrième saison à NHL 2001 que de la dernière déclaration publique d’Helmut Kohl.

Un autre problème avec les reconstitutions historiques est que Tony a de la difficulté à discerner la « réalité » de la fiction. Surtout que depuis quelques années, Hollywood s’est abonné au festival du « cas vécu » ou du récit « basé sur une histoire vraie » [5]. Pour une raison que j’ignore, Tony semble excité du fait que « c’est arrivé pour vrai »...

Après avoir vu Pearl Harbour avec super cousin, ce dernier semblait très intéressé par cet événement historique et nous avons donc loué Tora ! Tora ! Tora ! Je lui avais conseillé un bouquin pis toute, mais le fait qu’il devait le lire semblait lui faire perdre un peu d’intérêt pour la chose. Peu importe. Donc nous avons commencé à visionner le film et au bout de 40 minutes, Tony s’est levé pour aller siffler les filles sur la Wellington à Verdun. Pourtant le film était beaucoup plus représentatif de ce que nous expliquent les bouquins d’histoire que pouvait l’être Pearl Harbour. Vous devez savoir qu’en histoire, on ne recherche pas vraiment la vérité, mais plutôt à être « tendance » (merci aux Copines d’abord, je peux maintenant utiliser ce mot avec justesse) avec notre vision de telle ou telle époque. Si vous voulez un indice sur ce qui est à la mode ces temps-ci, c’est l’histoire sociale de la vie du petit travailleur d’usine d’il y a 132 ans... et est-ce que ça intéresse quelqu’un ? J’pense que non! Bref, Tony trouve inintéressants les films démontrant une certaine rigueur au niveau historique, surtout il les trouve incompréhensibles ; beaucoup d’éléments ayant inspiré le réalisateur pour faire sa merde lui échappent, bien qu’ils puissent sembler bien simples pour les individus maîtrisant l’environnement de départ - Tony peut être dérouté par très peu de choses. C’est sans doute la raison pour laquelle on peut bien souvent résumer les films de guerre à : Ok là, y a une guerre, et elle a eu lieu pour de vrai à un moment donné.

Par souci de détail et de crédibilité, l’équipe de production de Pearl Harbour a engagé des historiens, question que le film n’avance rien de faux. Imaginez, deux historiens payés à gros prix pour dire oui, non, ok, qui ont la chance de côtoyer des super vedettes (Ben Affleck, tout un acteur presque), et surtout, ayant la possibilité de rencontrer Anne-Marie Losique [6] et de figurer dans sa super émission. Ces derniers ont fait du très bon boulot, ils n’ont pas sanctionné trop de faussetés (on peut excuser le festival du kimono japonais pour des motifs esthétiques). Le problème ne se trouve pas tellement au niveau des faussetés, mais plutôt à ce qui n’y figure pas. En mettant de côté certains éléments, on choisit de tenir un discours orienté. La perspective japonaise étant tout simplement évincée du film.

Cette semaine, alors que Tony préparait ses bagages pour repartir dans le Nevada, je profitais du moment pour finaliser mon article. Très perplexe du fait que je griffonnais sur du papier alors que l’école est terminée depuis un mois, il m’a demandé ce que j’écrivais. Lorsque je lui ai dit que grossièrement, mes écrits tournaient autour du fait qu’Hollywood se servait de l’histoire pour faire du cinéma et non l’inverse, et que pour quelqu’un qui ne fait pas la différence, cela peut être problématique, il semblait très très intéressé. Après lui avoir indiqué que je parlais de lui, il s’est mis à lire ce que j’avais écrit. Il a eu peur qu’on le reconnaisse. Voulant le rassurer, je lui ai expliqué que bien que mon article serait disponible partout dans le monde via internet, je m’étais fixé pour objectif de ne jamais outrepasser le cap des cinq hits dans le même mois (4 internautes égarés et Nicolas Tittley) ; objectif clairement réalisable sur Artifice.

Peu convaincu, et certainement perturbé, Tony a terminé notre discussion avec un argument massue : En-t-cas, tsé, c’est juste un film.

Ce texte est tiré d’une histoire vraie et vécue, chaque virgule, tréma et faute d’orthographe a été analysé et approuvé par un comité de 718 vrais historiens.

 

1 - Le diplomate japonais a passé la journée à l’ambassade japonaise aux États-Unis pour émettre sa déclaration de guerre. Toutefois, les Américains, voulant une justification solide à donner à son peuple pour entrer dans la deuxième guerre mondiale, ont fait en sorte qu’ils ne puissent recevoir le document qu’après l’attaque.

2 - Ce qui a motivé l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais est l’impossibilité de négocier une levée de l’embargo économique américain sur le pétrole et autres trucs de première importance pour la guerre. En effet, le Japon avait des visées expansionnistes vis-à-vis la Chine à l’époque, et voulait concrétiser leurs projets par la force.

3 - À cet effet, il est permis de voir dans le film que malgré le fait que des aviateurs japonais bombardent l’archipel, certains d’entre eux ont tout de même des remords. Donc ma conclusion si je suis un japonais : ah, c’est pas si pire!

4 - Il y a quelques thèses à l’effet que les Etats-Unis, dans le but d’aller chercher l’appui du peuple et des gouvernements, se seraient laissés attaquer sans broncher, question de donner une raison à la nation de s’enrôler dans le conflit.

5 - Erin Brokovich, The Insider, Hurricane, Blow, Men of Honor, Patch Adams, Remember the Titans (par Disney ?!?) et le reste en bons d’achats.

6 - Pour ceux qui ne connaissent pas cette fantastique demoiselle, vous pouvez participer à la section interactive de cet article : mon premier est l’animatrice de Box Office, mon second anime cette émission grâce aux contacts de papa (la tête du FFM - Pierre Losique) et mon tout commence par [in] et se termine par [supportable]. Qui suis-je ?