Par ici on se lève tôt, et toutes les bonnes consciences du quartier, qu’il soit rural, télévisuel ou charcutier, auront vite fait de se reposer la question : mais où s’en va notre jeunesse ? (question à laquelle de tristes cyniques ont déjà répondu : « En fait, elle ne s’en va pas, c’est la vieillesse qui la chasse » [1])...

Encore, Claire Lamarche et ses semblables (ce sont des doubles qui se redoublent) demandent à une jeune fille timide, mais charmante, à quelle âge elle a bien pu se faire déflorer et dans quelle position - suite logique : celle qui demande a la gueule en « O » d’incrédulité, celui qui regarde a une érection (imaginant la scène impliquant la fillette de 6 ans, si elle n’est pas reconstituée pour valider la démarche). Et si je zappe, le Canal Vie m’apprendra qu’il s’agit là d’une forme de régression sociale - qu’il fut une époque où à 8 ans les jeunes filles étaient mariées, à 12 elles avaient élevé une portée de chiots et à 15 étaient mortes d’une infection oculaire. Et je suis instruit et outré à la fois. Générique puis nouvelle émission dans laquelle, encore, une sexologue invitée m’apprendra une fois de plus que les jeunes découvrent les joies de la chair de plus en plus tôt et que la situation des filles mères est à la fois difficile et critique [2] - que bientôt ou plus tard ce soir il faudra passer d’une pouponnière à l’autre pour identifier les parents.

Et pourquoi je blâmerais Britney Spears ? Elle se déclare pourtant vierge et assez fière de l’être.

Faux drame que ces ados qui couchent et accouchent. L’indignation à laquelle vous êtes invités n’a pour unique but que de préserver une faible idée de ce que furent les valeurs morales traditionnelles (qui n’existent plus qu’en leurs doubles dénaturés - voir Baudrillard). Pire, l’indignation vous est imposée de la même façon que la sexualité l’est aux adolescent(e)s - une indignation médiatique. Du cigare de Clinton aux gargouillis de Ginette pour les Hell’s, le « scandale » sert la même fonction : ce qui est important, c’est que le peuple s’indigne. Et comme le peuple est amorphe, il faut d’abord que l’être-média s’indigne pour lui montrer la voie. Et puis ensuite vient Survivor. Mais là je bifurque.

Je prends le métro, je me promène dans la rue, je visite les garderies. Les adolescentes, les jeunes filles, n’existent plus, tout ce qui m’entoure, ce sont des images d’adolescentes et de jeunes filles (remarquez, je pourrais tout aussi bien parler des adolescents, mais je les regarde moins). Leurs garde-robes, leurs maquillages, leurs démarches, tout ça ne leur appartient pas, mais appartient plutôt à l’être-média, à l’adolescente médiatisée. Il n’y a qu’images d’adolescentes.

Britney Spears n’existe pas non plus. Au mieux, une création en image numérique, au pire, une innocente choisie sur le tas et transformée en pur message. Et vous me suivez. Car si les adolescentes ne se parfument pas d’elles-mêmes, nous allons le leur imposer. Et me dévêtir élégamment de façon à bien faire voir la naissance de mes seins coûte très cher. La griffe importe car elle est en partie ce qui modèle le message que je suis devenue. Il y a imposition de A à Z : l’indignation et sa cause émergent tous deux d’effets médiatiques. Mais à quoi peut bien servir tout ça ?

L’indignation, vous le savez déjà, sert à maintenir un ordre symbolique dans les valeurs du peuple. Aussi, elle sert à le contenir : quiconque ouvre son téléviseur y trouvera une bonne raison de s’indigner (et ça risque d’être divertissant en plus !) et justifiera ainsi la supériorité qu’il s’accorde sur ses semblables (et donc des raisonnements du genre : esti qui sont niaiseux et matérialistes les américains ou mais où s’en va notre jeunesse ?). Et quiconque se croit supérieur à l’intérieur d’un système ne pensera jamais à le renverser.

Encourager la cause de l’indignation sert aussi de contrôle. Que ce soit en se dévêtissant ou simplement en critiquant ce que l’être-média lui donne à critiquer, l’être croit en son pouvoir de révolte. On lui donne la possibilité d’être inoffensivement original, en lui donnant à croire qu’il est original (seul problème, l’originalité - en grande partie en passant par la marginalité douce - est de mode, et donc, plus originale du tout). Aussi, et ce n’est pas de moindre importance, la danse de séduction dans laquelle notre jeunesse s’en va est lucrative à la société. Au dépend du coefficient de réalité, on fait du profit.

Ce faux drame (ou ce drame du faux) n’est pas sans danger. La charte des droits et liberté de la personne s’applique-t-elle à une image de personne ? L’image, je peux la dévêtir assez facilement sur le net, je peux la baiser à volonté à travers la porno. L’image de jeune fille que je croise tous les jours dans le métro ne contrôle pas le message qu’elle est devenu. Le vrai drame se joue à l’intérieur de ce message et on peut difficilement le calculer ou y intervenir. Il n’est pas ici question de donner raison à notre système judiciaire (qui lui joue sur cet être devenu image depuis déjà longtemps). Car oui, elle portait une jupe, mais non, elle ne l’a pas cherché.

Et se choquer de tout ça (s’en indigner) ne ferait que nous inclure dans cette danse sociale du disparu et du faux. Au lieu de ça, je vais faire mes set-ups et remodeler mon corps à l’image de la poupée Ken.

(zut, j’ai oublié de parler de la balle en plastique que j’ai eue dans le cul en manifestant à Québec)

 

1 - Fausse citation.

2 - Mère à 12 ans! Quel frontpage scandaleux, je suis sûr de vendre!