Jin-Roh, second film d'animation nippon réalisé par les créateurs du mythique Ghost in the Shell, s'avère tout simplement étonnant. Un pas en avant dans le domaine du dessin animé. Premier effort à transcender significativement le genre, La brigade des loups colle véritablement au médium cinéma. Et il n'est pas tant ici question de techniques d'animation visant à calquer le réalisme du mouvement, mais plutôt d'un scénario bien au delà de ses prédécesseurs ainsi qu'une rigueur ambitieuse du langage cinématographique.

MÈRE, QUE VOUS AVEZ DE GRANDES OREILLES…

Dans un Tokyo rongé par la corruption ,la pauvreté et le terrorisme, Fusé est membre de l'unité Panzer. Celle-ci est une division armée de la POSEM, un organisme gouvernemental chargé d'aider la police à combattre le crime. Véritables machines à tuer, Fusé et ses collègues soldats sont responsables de l'extermination des terroristes de " la secte ". Au cours d'une mission, Fusée est incapable d'abattre une jeune " chaperon rouge ", rebelle chargée d'acheminer l'armement entre les groupuscules de la secte. Cette rebelle, prise au piège, se suicide sous ses yeux. Hanté par sa mort et incapable de se concentrer au combat, Fusé déambule en ville, solitaire. Il rencontre par hasard la sœur aînée de la jeune victime et en tombe amoureux. Cependant, il se rend vite compte que quelque chose cloche. Cette rencontre, juste au moment où les rapports entre la police et la POSEM sont au plus bas, est-elle réellement un hasard?

MÈRE, QUE VOUS AVEZ DE GRANDES GRIFFES…

Oui, Jin-Roh est visuellement époustouflant avec ses magnifiques backgrounds, son animation adéquate et ses superbes plans, mais le génie réside dans la capacité du film à rendre le tout secondaire, à ne laisser place qu'au récit, à l'évolution de l'intrigue et, aussi étrange que cela puisse paraître dans le cas d'un animé, aux émotions. Le dénouement final à lui seul bouleverse davantage que la plupart des productions hollywoodiennes. Pour la première fois, le dessin au service du récit, sans fioritures inutiles, sans extravagance visuelle. À ce sujet, il eut été très facile (et peu coûteux) de tourner ce dessin animé en film. Sans rien y changer d'ailleurs, en conservant intact le scénario et les dialogues, et en utilisant l'animé tel quel comme storyboard.

MÈRE, QUE VOUS AVEZ DE GRANDS YEUX…

La brigade des loups n'est visiblement pas le premier à aborder cette tangente, Perfect Blue ayant auparavant plongé dans une voie semblable, mais ce dernier (une tentative ratée de thriller rose bonbon) est loin derrière l'accomplissement des créateurs de Roh. Contrairement à l'ensemble du cinéma nippon (tant manga que réel), Jin-Roh n'est en aucun point excessif. Rien n'est souligné à gros traits. Ni la mimique des personnages, ni le caractère émotif du récit, ni l'action. À ce sujet, c'est le premier film d'animation où tout est en retenue. Le héros est aussi froid qu'un glacier et pourrait facilement "jouer" dans un Cronenberg. Les personnages n'ont pas à descendre la mâchoire jusqu'au plancher (à l'inverse de Disney) pour laisser entrevoir de la stupéfaction. Cette sobriété est aussi de mise pour le déroulement narratif et la mise en scène. Pourtant, malgré cette frugalité si peu commune au cinéma d'animation, l'émotion et les sentiments sont soudainement plus palpables qu'à l'habitude. Normal, puisque le spectateur assiste pour la première fois à un dessin animé suivant strictement le langage filmique d'une production réelle.

MÈRE, QUE VOUS AVEZ DE GRANDES DENTS…

Évidemment, l'aspect le plus plaisant de Jin-Roh est sans aucun doute l'ajout au récit d'une jouissive métaphore comparant le destin tragique de Fusé et de sa comparse au conte du petit chaperon rouge. Magnifique touche poétique rehaussant la narration, cette simple métaphore agit en deux temps. D'abord, en collant au jeu de séduction du loup et sa proie, celle-ci allège une trame politique ambiguë en portant l'attention sur le côté émotif des deux protagonistes. Puis, par l'utilisation du conte de Perrault comme béquille au schéma narratif, elle laisse -de façon flagrante- deviner les événements à venir ainsi que la morale qui l'accompagne. Le message principal du film étant absorbé bien avant la fin du visionnement, l'attrait n'est donc plus simplement la surprise, mais plutôt un désir de rédemption, histoire de mettre un terme au tourment qui s'annonce instinctivement (qui ne connaît pas le sort du chaperon rouge…) comme la seule issue possible. Précurseur d'un dessin animé plus riche et éveillé, La brigade des loups assume pleinement les attentes qu'il a su créer et démontre avec brio le potentiel du cinéma d'animation japonais. En attendant le prochain projet, gardons un œil vigilant sur la sortie nord-américaine prévue pour 2001.

ET LE LOUP DÉVORA LE PETIT CHAPERON ROUGE.