Lorsque l’on parle cinéma (restreignons-nous ici aux cercles fermés de son étude et aux réseaux de cinéphiles), les discussions portent majoritairement sur les grands maîtres de cet art, les grands films et les grandes techniques, ce qui est tout à fait normal à l’intérieur d’une réflexion critique et/ou théorique. Pour étudier le septième art, il est peu probable que l’on s’appuie sur des exemples tirés de ce que l’on pourrait appeler le cinéma du I Spit on Your [Film] - un cinéma considéré plutôt comme branche malade de cet art fabuleux. Pourtant, comme tout art, le cinéma comporte aussi son lot de martyrs (injustement condamnés), autant dans ses techniques que dans ses genres. Malheureusement, on ne fouille pas suffisamment ces rejetons - ils renferment des trésors cachés, comme nous pourrons le constater.

Ce que nous verrons dans les lignes suivantes est donc une compilation analytique d’une technique et d’un genre tous deux mal appréciés. Donc, en prenant le zoom souvent ignoré ou sur lequel on crache et en l’intégrant aux films d’horreur, on en retire des résultats particuliers ne pouvant être générés que par ces deux souffre-douleur. Nous aborderons ici une époque particulière, les années 70, l’apogée de l’effervescence de ces deux items. De plus, nous ne considérerons que le cinéma d’horreur européen, plus riche en expérimentations zoomées. Nous verrons ainsi comment le zoom est principalement utilisé pour créer de l’emphase et comment il participe au symbolisme des thèmes.

Avant de réellement débuter l’épistémologie de ce mouvement de lentille (ou plutôt cet effet de lentille) et d’en faire sa taxinomie en rapport avec le cinéma d’horreur européen de l’époque yuppie, il est impératif de mentionner que nous ne naviguerons point sur l’étude du zoom en général, ni ne l’expliquerons techniquement en le comparant à d’autres mouvements de caméra comme Stuart M. Kaminsky a pu le faire dans son article The Use and Abuse of the Zoom Lens [1]. Au lieu de voir le zoom comme technique, nous le verrons ici principalement comme entité dramatique comportant plusieurs degrés de manifestation. Le seul point dans la classification de l’article de Kaminsky auquel nous nous intéresserons est le quatrième, ce dernier portant sur : " zooms can be used for sudden dramatic emphasis " [2]. De plus, pour en arriver à faire une catégorisation de la sorte, il a fallu considérer plusieurs oeuvres de plusieurs réalisateurs. Donc, bien que certains noms et films soient cités, il ne faut pas restreindre ce qui est dit à seulement un réalisateur ou un film, mais voir ceci dans une perspective générale respectant le genre car, ces différents zooms ne sont pas en abondance dans chaque film (souvent seulement un spécimen ou deux sont repérables dans un film) - il s’agit plutôt de figures de style appartenant au genre.

Voyons donc comment le zoom bâtit l’horreur et comment l’horreur commande le zoom.

Profondo Violenta

Une complicité… horrifiante : l’emphase dramatique [3].

Un point caractérisant le film d’horreur est principalement la violence que l’on y retrouve. Il ne s’agit pas exclusivement de la violence physique dans les actes des personnages, ni de la violence psychologique qui en découle, mais aussi de la violence avec laquelle les sujets et les thèmes sont traités. Ce qui caractérise le zoom est sensiblement similaire car ce mouvement de lentille est en fait violent lorsqu’on le compare à la majorité des mouvements cinématographiques. Il poignarde littéralement (zoom in rapide) et pour la plupart des gens – incluant réalisateurs aussi bien que spectateurs – il dérange la vision, la conception et le respect de l’oeuvre dans laquelle il est utilisé. Caricaturant, on pourrait dire que certaines personnes deviennent violentes lorsqu’on ne fait que mentionner le mot zoom. L’horreur et le zoom collaborent ainsi à la mise en place de l’emphase.

  1. Zoom in de torture.

Un premier effet d’emphase de cette combinaison se situe au niveau du caractère horrible d’une action - l’horreur d’un crime (l’horrible étant évidemment le fondement de l’horreur). Nous avons donc ici un zoom qui n’est utilisé qu’en relation avec la participation/identification du public. Lorsque dans ces films on nous montre un crime, celui-ci se produit généralement dans un endroit isolé, avec une victime qui est seule. Le spectateur est seul témoin. C’est à ce moment que les réalisateurs font durer l’horreur de la chose en effectuant de longs zoom in se rapprochant doucement de la victime en détresse et/ou dans ses derniers soupirs. Dans Zombies’ Lake, une pauvre femme est attaquée par un zombie. Elle tombe par terre, le zombie plonge sur elle et lui dévore le cou : pendant ce temps la caméra effectue lentement un zoom in sur la victime, l’accompagnant ainsi dans son agonie. En fait, la lenteur du zoom est une torture pour le public qui assiste à l’envolée de l’âme et à la souffrance de cette femme. On retrouve la même chose dans Cannibal Holocaust lorsqu’un homme, pour sa survie, tue un petit animal (sans raccord de regard) en lui enfonçant un couteau dans le cou. La caméra effectue lentement un zoom in sur l’animal pendant que celui-ci hurle et est secoué de spasmes avant de mourir. Des scènes qui sont non seulement horrifiantes, mais sur lesquelles on amplifie l’effet avec le zoom.

  1. Zoom in de choc.

Prenons en considération le résultat de l’horreur, la victime. Il n’y a pas de meurtres sans cadavre - on l’a bien compris et on l’exploite. Ce qu’on aime bien nous montrer ce sont les cadavres des gens assassinés. Le zoom est ici utilisé différemment de ce que nous avons vu au point précédent. Il s’agit encore d’un zoom in, mais beaucoup plus rapide. Et pourquoi ? Simplement parce que le meurtre nous ayant déjà été montré, il faut maintenant qu’un personnage trouve le corps, et lorsque ceci arrive, c’est pour ce dernier (et pour nous) un effet de choc, de surprise et d’effroi. Dans Cannibal Ferox, un indigène mort, empalé sur des lances en bambou, est découvert par une jeune femme dans les forêts de l’Amazonie. Nous avons donc un plan sur la figure de la jeune femme qui tourne la tête vers le mort, ensuite un zoom in rapide sur le mort (passant d’un plan moyen à un plan rapproché sur sa poitrine ensanglantée). Bien sûr, ces zoom in sur la victime peuvent aussi être perçus comme le point de vue du personnage (considérant le raccord de regard). Ces plans sont généralement accompagnés de zoom in sur l’expression d’horreur des personnages témoins, un principe de fait et conséquence accentuant la surprise et l’horreur ressenties.

  1. Zoom in de répugnance.

Comme on vient de le voir, l’effet le plus souvent recherché est de créer chez le spectateur une violente impression de répulsion et d’effroi qui saisit sur le coup. Mais cet effroi n’est pas seulement engendré par des crimes et/ou des cadavres, le cinéma d’horreur du temps étant tout de même beaucoup plus diversifié. Un des maîtres de cette troisième classe est sans nul doute Amando De Ossorio, qui utilise particulièrement le zoom pour effrayer les foules et les répugner. D’accord, tout crime est dégoûtant, mais les sujets sur lesquels il effectue ses zooms sont affreux et répugnant. Tout d’abord, il marie la trame sonore – élément souvent très important pour l’atmosphère – au zoom. Dans La Noche Del Terror Ciego, lorsqu’un des templiers revient à la vie, un zoom in rapide sur la figure squelettique de celui-ci est utilisé avec des chants lugubres (hors-champ) plus plaintifs que mélodieux. Donc, on se rapproche vivement sur un gros plan d’un visage ténébreux et effrayant sans que l’on s’y attende (il n’y a pas d’autres personnages, donc aucun raccord de regard) et de plus, les chants deviennent soudainement des cris. Il y a donc une tonalité d’ajoutée au zoom, ici utilisé afin d’accélérer nos battements de cœur et de nous retourner l’estomac.

  1. Zoom d’accentuation.

Certaines utilisations du zoom sont combinées avec d’autres effets, créant ainsi une atmosphère intemporelle - une pause dans le temps. Si l’on prend l’expression " saisir d’effroi " au premier degré (dans un sens strictement littéraire) et qu’on l’applique à ces films, on retrouve certains exemples qui y adhèrent facilement. Par exemple, La Noche del Terro Ciego se termine sur une image fixe du train en gare dans lequel les templiers dévorent les passagers. Sur cette image, un zoom out est effectué, débutant sur la dernière survivante du petit groupe d’amis en close-up pour finir sur un plan d’ensemble sur la gare (sur lequel nous n’entendons que les cris des gens). Le film est en fait un crescendo d’effroi nous montrant de nombreuses scènes horribles se terminant sur ce paysage horrifiant de l’attaque du train. C’est à ce moment que devant l’horreur de la chose, le tout est saisi d’effroi (fixé). Le zoom out se termine sur un plan d’ensemble montrant l’étendue effroyable du massacre perpétré par les templiers. De quoi nous saisir sur place.

  1. Zoom out de dévoilement.

L’utilisation du zoom out est bien particulière dans les films d’horreur européens. Souvent, on aurait tendance à croire que le zoom out serait en premier lieu utilisé pour donner des plans d’ensemble (d’établissement), (ce que l’on pourrait rapprocher du zoom vu au point 4), mais en fait, le zoom out est dans la plupart de ces films un outil très efficace pour faire sursauter les foules. Dans Nudas Per Satana, nous avons plusieurs exemples de ce type de mouvement. Un des personnages du film, errant dans le château, se retrouve seul dans une grande pièce vide et sombre. Le plan débute sur cette femme, cadrée en plan rapproché sur sa poitrine, le dos à la caméra. Elle se retourne doucement vers la caméra en regardant autour d’elle et soudain sursaute et pousse un cri. À ce même moment (très bonne synchronisation), un zoom out s’effectue très rapidement pour nous dévoiler une silhouette sombre en premier plan, cadrée de très près et occupant presque la moitié de l’image. La surprise créée chez le spectateur est ici fortement construite parce que non seulement nous entendons ces cris soudains de surprise de la part du personnage, mais en plus nous avons un zoom out rapide (auquel, une fois de plus, nous ne nous attendons pas) dévoilant un personnage si près de nous (premier plan) et prenant autant de place - étouffant l’autre personnage dans l’espace. Le tout combiné, le sursaut est inévitable.

  1. Zoom in de dérangement.

Il n’est pas obligatoire de rendre l’effroi par des mouvements rapides. Souvent la frayeur peut devenir insupportable dans un processus beaucoup plus lent. Mark of the Devil comporte plusieurs longs zoom in sur des personnages affreux et maléfiques (le chasseur de sorcières, entre autres) desquels on voudrait s’éloigner à cause de leur laideur. On nous torture avec le zoom in lent sur leur visage. Lorsqu’on place des "sorcières" sur le bûcher, de lents zoom in sont effectués sur le brasier ardent, accentuant la subjectivité de la chose, et aidant au phénomène de projection/identification qui nous donne l’impression de descendre nous-mêmes dans le brasier. Il ne faut surtout pas confondre ici avec le point 1. Dans ce cas-ci, le zoom est effectué non seulement pour créer de l’affolement, mais aussi pour déranger le spectateur et le mettre mal à l’aise. De plus, le zoom n’est jamais effectué sur une victime, comme au point 2.

Le zoom et l’horreur se complètent fabuleusement. Deux êtres copulants dont le fruit est un véritable cumshot au visage : parfois il répugne, parfois on l’accueille la bouche grande ouverte. Le zoom est un des plus originaux outils pour créer de l’effroi chez le spectateur - l’horreur est aussi un genre complexe et étonnamment libre pour un cinéma commercial, ce qui permet une expérimentation impossible dans la plupart des genres. Tous deux nous font découvrir de nouvelles expériences. On nous dévierge!

Bien sûr, plusieurs s’empresseront de dénigrer l’un et l’autre (et ce texte du même air d’intellectuel à foulard), mais nous croyons que la chose soit davantage due à une mauvaise utilisation du zoom à des fins de satisfaction anale qu’à une véritable réflexion sur la technique.

 

1 - Kaminsky, Stuart M. The Use and the Abuse of the Zoom Lens. dans Filmmakers Newsletter, October 1972

2 - Ibid., p. 23

3 - Pour les prochaines sections, et en particulier pour la première, la catégorisation effectuée ne doit pas être considérée comme étant finale et définitive. Certains zooms en relation avec certains événements, bien que classifiés, peuvent trouver des similarités (selon leurs caractéristiques) dans certaines autres catégories. Il faut plutôt voir cette grande catégorisation comme un regard sur ce mouvement de lentille que l’on retrouve en ultra-abondance dans ce cinéma particulier. Bref, que la catégorisation ouvre la porte à des discussions et analyses futures.

 

Filmographie sélectionnée :

- El Ataque de Los Muertos Sin Ojos aka Return of the Blind Dead / Amando De Ossorio (1973)

- Blood on Satan’s Claw / Piers Haggard (1970)

- Buio Omega aka Buried Alive / Joe D’Amato (1979)

- El Buque Maldito aka Horror of the Zombies / Amando De Ossorio (1975)

- Cannibal Holocaust / Ruggero Deodato (1979)

- Il Coltello di Ghiaccio aka Silent Horror / Umberto Lenzi (1972)

- El Diablo Se Lleva Los Muertos aka Lisa and the Devil / Mario Bava (1973)

- Dracula Contra Frankenstein aka Screamin Dead / Jesus Franco (1972)

- Erotics Rites of Frankenstein / Jesus Franco (197?)

- Gatti Rossi in Un Labirinto di Verto aka Eyeball / Umberto Lenzi (1975)

- Mark of the Devil / Micheal Armstrong (1970)

- La Noche Del Terro Ciego aka Tombs of the Blind Dead / Amando De Ossorio (1971)

- Nudas per Satana aka Nude For Satan / Luigi Batzella as Paolo Solvay (1974)

- Reazione a Catena aka Bay of Blood / Mario Bava (1971)

- Sette Note in Nero aka The Psychic / Lucio Fulci (1977)

- To The Devil a Daughter / Peter Syres (1976)

- The Vampire Lovers / Roy Ward Baker (1970)

- Zombie II aka Zombie / Lucio Fulci (1979)

- Zombies’ Lake aka Zombie’s Lake / Jesus Franco as J.A.Lazer (1979)