BLIND DATE AVEC LA VIDÉO QUÉBÉCOISE

La vidéo était au Rendez-vous, mais pas sur son 36.

Revue de la production vidéo québécoise de l'année, volet vidéo des 18e Rendez-vous du Cinéma Québécois. Présenté à la Cinémathèque québécoise du 17 au 27 février.

Les Rendez-vous du cinéma québécois sont prétexte à une vue d'ensemble des productions audiovisuelles québécoises de l'année : d'un bilan de l'évolution de certains artistes, de l'émergence de nouveaux, des innovations dans l'exploration des médias… Pour la vidéo surtout, cette rencontre est l'architecte d'un pont entre le public et le milieu hermétique de la vidéographie. Comment expliquer des salles à moitié vides lors d'un événement d'une telle importance ?

La vidéo s'aborde selon DEUX APPROCHES, défendues toutes deux à ces Rendez-vous. Il y a celle qui s'attarde à sa fonctionnalité première, c'est à dire de mémorisation, de témoignage, d'archivage. C'est de cet angle que la vidéo Dominique et Louise livre l'évolution de la relation amicale de Dominique Vézina et Louise Camrass. La caméra est intimiste, le montage dynamique, mais le propos est futile. «J'aurais aimé être quelqu'un de vraiment spéciale. Mais ce n'est pas le cas, je fais partie de l'humanité, et je ne peux pas dire que ça me déplaît» (traduction libre). Cette bande a reçu le Prix de la vidéo.

La seconde approche explore la vidéo comme médium, comme matière. C'est là que s'exprime toute la spécificité du média ; c'est là que la narrativité s'éclate, que le montage se démonte et que les textures électronégatives sont canonisées. Falaise (Karin Hazé), Bêtes de Foire (Alain Francoeur) et La porte de la lune (Ève-Lucie Bourque) montrent une signature visuelle remarquable. Les idées s'expriment via le corps spasmodique. Rêve de Cowboy (Boris Firquet) échantillonne de vieux westerns afin d'enfourcher un exercise de montage amusant toutefois chapeauté d'un ajout d'effets discutables.

DES VALEURS SÛRES ET DES SURETTES

Après un Faust Médusé primé à ce même festival en 1997, les attentes étaient grandes pour la prochaine bande de Alain Pelletier. Die Dyer est grande et sombre. Grande par sa maîtrise du média et de la griffe de Pelletier. Sombre par son propos et son ambiance : la vulnérabilité de deux hommes et une femme lors d'un huis clos de soixante jours sous contrat.

Quant à lui, Robin Dupuis poursuit son appropriation étonnante de la vidéographie avec Furtive, aux textures presque malléables, dont émane une émotion palpable mais indéterminée. Pour quand la reconnaissance de ce vidéaste au talent probant ? Nelson Henricks, talentueux également et primé celui-là l'an dernier pour Crush, offre pour sa part une débandade. Un homme à tout faire utilise une caméra épaule voyeure qui fait sourire mais dont le discours et le traitement n'étonnent guère. Un contrechamps par rapport à Crush, léchée et substentielle.

LA VIDÉO AU FÉMININ (au rendez-vous plus que jamais, et à l'heure par surcroît !)

C't'aujourd'hui qu' de Manon Labrecque est vivifiante et soutenue à tous les niveaux. Le procédé de prise de vue 360 degrés et la récurrence des mouvements circulaires assurent l'unicité de l'oeuvre. L'alliage des aspects figuratifs et narratifs à l'abstraction et l'évocation est des plus réussis. L'outil n'est pas toujours un marteau de Sylvie Laliberté est tonifiante par son discours ultrapop et incisif. Brillante!

UNE VIDÉO MALADROITE ; DES CHOIX MALADROITS ?

En dépit d'intentions de départ et de sujets au potentiel créatif évident, la plupart des oeuvres restes inégales. Souvent, c'est le traitement visuel qui est banal ; funk de Georges Sheehy est une étude portant sur les filtres disponibles sur les logiciels Photoshop et After Effects… Souvent, c'est la durée qui essouffle ; Dominique et Louise aurait gagné à être écourtée. Par ailleurs, c'est encore l'aspect sonore qui souffre le plus, la sonorisation médiocre de la Salle Claude Jutras n'aidant en rien. Textures faciles, mixages peu subtils, motifs poncifs. Pourtant, la vidéo est un des médias qui permet une osmose particulière entre ses aspects sonores et visuels ; le son et le visuel peuvent avoir préséance l'un sur l'autre et peuvent valser entre ces deux états. Heureusement, certains vidéastes s'y arrêtent particulièrement ; Alain Pelletier en collaborant avec Marcelle Dechêsnes (de renom en électroacoustique) ou encore Julie-Christine Fortier avec Shift qui remplace ses monologues par un bruitage efficace et comique.

Certes, il est incontestable qu'une place de premier plan revient à la vidéo. Mais ne vaut-il pas mieux la restreindre si la production de l'année ne peut combler l'espace qu'on lui accorde à l'horaire ? Les Rendez-vous ne peuvent pas se permettre de présenter des documents dociles comme celui de Chantal Dupont et Élisabeth Wörle (De coeur et de parole) ; la place de la vidéographie au Québec est encore trop précaire.

La vidéo québécoise a peine à obtenir une certaine popularité. Les Rendez-vous du cinéma québécois constituent une fenêtre importante puisque la vidéo peut bénéficier de la visibilité occasionnée par son affiliation avec le long métrage. Il incombe maintenant aux vidéastes de montrer à cette fenêtre des champs auparavant inexplorés.

La vidéo était aux Rendez-vous. Mais il était difficile d'y rencontrer une pièce bien ficelée ; on ira voir le boucher pour ça.

 

Katherine Melançon

 

Les oeuvres de Manon Labrecque et Sylvie Laliberté sont diffusées également dans le cadre de Culbutes, Millénaire mon oeil, l'exposition en cours au Musée d'Art Contemporain jusqu'au 23 avril.